
Interview d'un lauréat
Emmanuelle Andrieux
Maître verrier à la Maison du Vitrail
Lauréate Montgolfier 2016
Membre du Comité Constructions et Beaux-arts
Propos recueillis par Bertrand Lemoine, Président du Comité Constructions et Beaux-arts de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale
1. Vous avez reçu le Prix Montgolfier 2016 au titre de votre activité à la Maison du Vitrail, entreprise familiale, et vous êtes depuis cette date membre de notre Comité. Quelle est la nature de l’activité de la Maison du Vitrail ?
La Maison du Vitrail, est une entreprise familiale. Entreprise du Patrimoine vivant (EPV), elle a été créée en 1973 par Christiane et Philippe Andrieux. Leur fille, Emmanuelle Andrieux œuvre, en son sein, depuis plus de 20 ans avec ses 9 collaborateurs animés de la même passion et toute la rigueur que le métier impose.
La Maison du Vitrail est spécialisée dans les domaines de la restauration et de l’entretien du patrimoine mais également dans la création d’œuvre classique ou contemporaine et toujours dans les règles de l’art.
Notre savoir-faire tant en restauration qu’en création nous amène à l’essentiel ; c’est une relation humaine, un partage, un échange au travers de la lumière, de la vibration du verre, c’est être en osmose pour créer une forme de bonheur.
2. Une part importante de votre activité est dédiée à la restauration de vitraux anciens. Quelles sont les opportunités mais aussi les difficultés que vous rencontrez dans ce genre de travail ?
Dans notre métier de Maître Verrier, nous avons bon nombre d’opportunités.
Il faut savoir qu’en France, nous avons 60% du Patrimoine mondial en termes de vitraux.
Nous avons la chance de pouvoir côtoyer des œuvres du passé pour leur restituer leur lettre de noblesse et leur redonner une existence esthétique remarquable. D’autre part, nous pénétrons dans les coulisses de bâtiments souvent exceptionnels ou parfois modestes mais où les vitraux donnent toute la magnificence que l’on imagine. Nous avons alors pour mission de révéler à nouveau lumière et graphismes des vitraux existants détériorés par le temps et bien souvent obscures.
Néanmoins il ne faut pas oublier que notre métier requiert des savoir-faire complexes et sans failles. Nous devons être à la pointe des techniques de restauration en acceptant de nous former régulièrement.
En ce qui concerne la restauration, nous devons conserver une grande humilité, savoir nous effacer devant l’œuvre de nos ancêtres et parvenir à nous fondre et nous mettre à la place du Maître Verrier qui nous a précédé pour ne pas trahir son esprit.
S’oublier pour mieux restituer, c’est la dualité du Maître Verrier lorsqu’il est également créateur.
Mais ainsi nous nous nourrissons du passé pour accomplir l’avenir et nous nous enrichissons des gestes, graphismes et interprétations de la lumière. Indépendamment des qualités artistiques et techniques, un Maître Verrier doit savoir monter un échafaudage, travailler en grande hauteur sur corde comme lors de la restauration de la coupole des Galeries Lafayette suspendu à 38 mètres de haut, s’adapter à la pose sur tous types de matériaux (bois, pierre, ciment, métal…), braver les intempéries, toutes les contraintes rencontrées dans les métiers du bâtiment. Chaque geste que nous exécutons peut-être destructeur car nous travaillons avec le « fragile » et nous sommes les garants de la pérennité de ces œuvres de lumière. Nous sommes confrontés aux difficultés grandissantes pour gérer les conditions d’hygiène et de sécurité tant dans nos ateliers que sur les chantiers et la pression grandissante des contraintes administratives de tous ordres nous fait parfois douter du bien-fondé d’avoir son métier pour passion et pourtant…quelle chance.
3. Vous êtes également dédié à la réalisation et à la création de vitraux contemporains mais aussi à leur. Comment cela s’organise-t-il au sein de l’Atelier ?
Notre atelier est dédié aussi bien à la création qu’à la restauration.
C’est un métier unique qui nous bascule quotidiennement d’une époque à une autre.
Je gère et anime cette entreprise familiale où nous sommes 2 Maîtres Verriers à répondre aux projets de création aussi bien pour des particuliers, des architectes, des décorateurs, des artistes……
Nous pouvons répondre tant pour l’élaboration et la conception d’une petite plaque commémorative en fusing qu’à une collaboration avec Christian Louboutin pour imaginer la réalisation d’un ensemble de vitraux monumentaux et contemporains pour sa prestigieuse exposition « l’Exhibitionniste » au Palais de la Porte Dorée, nous imposant une succession d’exploits techniques pour valoriser l’œuvre.
Pour se faire nous sommes secondés techniquement par nos compagnons qui partagent la même passion, à qui nous demandons d’avoir une grande capacité d’adaptation, une rigueur absolue et d’appliquer une exigence conservant le souci de perfection aussi bien en restauration qu’en création.
Néanmoins nous avons une équipe formée plus particulièrement pour la restauration et l’autre pour la création.
4. Comment trouvez-vous et entretenez-vous les compétences de pointe nécessaires dans votre activité de métier d’art ?
Le vitrail est une discipline rare pour laquelle nous restons toujours en alerte et ouverts aux nouvelles technologies autorisant des restaurations toujours plus pointues et toujours réversibles. A ce jour, notre première préoccupation est de trouver un nouveau matériau qui remplacera nos baguettes de plomb pour répondre d’ici 3 ans aux normes écologiques européennes.
En tant que Vice-Présidente de la Chambre Syndicale du Vitrail, je participe à la recherche d’une solution pour l’avenir de notre métier et la sauvegarde du patrimoine. A ce moment nous n’avons pas de solutions.
La création requière également que nous portions notre attention et notre expérience sur de nouveaux procédés et matériaux qui nous permettront d’imaginer l’avenir et nous ne nous privons pas d’expérimenter de nouvelles matières, de nouveaux sertissages, de nouveaux collages etc…. dans un atelier dédié uniquement à la recherche pour la création.